La seconde réunion du projet Mobilités.net s’est déroulée en août   2003 lors de la dernière Université d’été   de la communication d’Hourtin (http://www.crepac.com).  En prolongement de notre dossier, il nous a semblé intéressant   de dévoiler une autre facette des discussions de ce groupe de travail,   qui interrogeait ici nos identités confrontées aux mobilités.   Alors que chacun connaît le besoin de gérer différentes   identités dans différents systèmes d’information, Sébastien Bachollet du Club informatique des grandes entreprises françaises (http://www.cigref.fr),   en précise les enjeux face au mouvement d' »urbanisation » des systèmes   d’information. Dana Diminescu, attachée de recherche à   la Maison des sciences de l’homme, observe la manière dont les migrants utilisent les outils technologiques pour mieux tirer parti de leurs réseaux relationnels.   Enfin, Arnaud Belleil, directeur conseil de Cecurity.com,   nous montre que la question de la traçabilité de l’individu mobile se pose dans des termes plus complexes que ceux d’une acceptation ou d’un rejet global. 
 
Un compte rendu préparé par Guénaël Amieux.
Sommaire
   Sébastien Bachollet : l’urbanisation des systèmes    d’information
   Dana Diminescu : migrations, identités et TIC
   Arnaud Belleil : la traçabilité de l’individu    mobile
   Quelques éléments de conclusion 
En introduction, Sébastien Bachollet (http://www.cigref.fr) a souligné que « la » mobilité est devenue une notion fourre-tout : ses formes sont multiples, aussi faut-il parler de « mobilités ». Parallèlement, chacun connaît le besoin de gérer différentes identités (administrative, médicale, commerciale, pseudos dans des forums…) dans les différents systèmes d’information auxquels il accède. Le risque d’usurpation d’identité, déjà important dans les systèmes informatiques filaires, prend, par exemple, une dimension nouvelle dans les contextes de mobilité.
Sébastien Bachollet : l’urbanisation    des systèmes d’information
   La notion récente d’ « urbanisation des systèmes d’information    » des entreprises répond au départ à un problème    très concret. Les couches informatiques et briques logicielles se sont    sédimentées au cours des années de manière plus    ou moins contrôlée et est apparue la nécessité de    « créer des quartiers » et d’organiser la circulation    dans le système d’information, afin de le rendre simplement utilisable.    En effet, indique Sébastien Bachollet, « il n’y a pas dans    le système d’information de l’entreprise des Haussmann tous    les jours ». La question qui se pose alors est l’aide que pourraient    apporter les spécialistes de l’urbanisation physique aux chargés    de l’urbanisation informationnelle.
   Le format de cette réunion n’a permis que d’effleurer cette    notion d’ « urbanisation des systèmes d’information    ». Un article de Thierry Lévy-Abégnoli dans Zdnet du 05    août 2003 la précise :
http://www.zdnet.fr/techupdate/infrastructure/0,39020938,2134952,00.htm.
   En voici quelques extraits :
   « [La] démarche [d’urbanisation] devient nécessaire    lorsque l’entreprise a accumulé un grand nombre d’applications et de    bases de données tout à la fois disparates et plus ou moins redondantes,    au cours de projets qui se sont étalés sur des années.    […] 
   « Quel que soit l’objectif final, une démarche d’urbanisation démarre    par une description des grandes zones fonctionnelles de l’entreprise elle-même    (et non de son informatique), telles que production, pilotage ou marketing.    Chaque zone sera ensuite détaillée pour descendre progressivement    vers les fonctions les plus élémentaires. […] « Il    s’agit ensuite de réaliser une cartographie du système d’information    […] 
   « Le processus d’alignement […] consistera soit à isoler    les services applicatifs et techniques communs à plusieurs applications    (de même que dans une ville, la bibliothèque ou la distribution    d’eau concernent tous les quartiers), soit à en développer de    nouvelles.
   « Ainsi remanié, le système cible deviendra plus modulaire.    […] et la meilleure fluidité des informations entre applications    facilitera les changements d’organisation. […] » 
Ainsi définie, cette notion soulève plusieurs remarques :
   Cette démarche, fonctionnaliste et rationnelle, dessine une « ville    informationnelle » qui évoque les propositions urbanistiques des    années 50 et 60, par la suite critiquées pour leur manque d’urbanité,    précisément. Autrement dit, ce n’est pas parce que cette    ville sera plus contrôlable (Haussmann) et fonctionnelle qu’elle    en sera plus vivable.
   Enfin, cette notion révèle la pesanteur des systèmes d’information,    loin des flux éthérés que suggèrent la circulation    de photons dans les fibres optiques et l’internet sans fil. La dématérialisation    de l’information n’annule en rien le poids de sa gestion, même    si elle en change les termes. A l’accumulation des archives succèdent    les sédimentations des formats de documents, des versions de logiciels    pour les lire, la fragilité des supports de sauvegarde, la difficulté    de donner cohérence, et donc sens, à l’ensemble…
   Il faut donc organiser la circulation de l’utilisateur dans le système    d’information, le guider, lui offrir un plan, des pages jaunes…    et contrôler les droits d’accès afin d’en assurer un    usage respectueux des règles de fonctionnement propres à l’entreprise    considérée. C’est là que surgissent comme centrales    les questions d’identités : d’une part, pour garantir la    sécurité ; d’autre part, pour personnaliser l’environnement    de travail au rôle de chacun dans l’entreprise. Les informations    numérisées, accessibles sur le plan technique grâce à    la numérisation et aux réseaux, le sont bien souvent fort peu    sur le plan cognitif.
Dana Diminescu : migrations, identités    et TIC
   Le migrant est souvent perçu comme une personne quittant un point A pour    se rendre à un point B. Les départs, définitifs, constitueraient    dans cette optique une rupture avec le pays d’origine et ces personnes    seraient donc « déracinées ». Tout cela n’a    plus aucune actualité : les migrants, grands connaisseurs des réseaux    de transports et grands utilisateurs des moyens de communication, développent    aujourd’hui des formes de co-présence à distance, maintiennent    les liens et n’imaginent plus les départs comme nécessairement    définitifs.
Contrairement à l’image du précaire, les migrants disposent d’un véritable capital de savoir-faire pour se doter des outils technologiques qui leur permettront de tirer parti de leurs réseaux relationnels. Le téléphone portable et l’internet leur permettent de s’organiser, deviennent des instruments de lutte (sans-papiers) et des moyens de subsistance : des systèmes de collecte d’information, appuyés sur des serveurs vocaux, rendent possibles des jeux commerciaux, en jouant par exemple sur les disparités de prix entre pays européens. Cette capacité à transformer un réseau social en modèle économique explique le faible nombre des demandes de régularisation.
La frontière, jusqu’ici physique, est désormais électronique : il s’agit désormais de passer malgré le « registre d’opposition » du système d’information de l’espace Schengen. De véritables « passeurs informatiques » sont apparus, qui ont développé, par exemple, pas moins de sept méthodes différentes pour contrecarrer les identifications par empreinte digitale. Et comme c’est désormais l’ordinateur « qui décide »…
Hubert Lafont s’interroge : sur l’histoire longue, que va donner cette mobilité ? Installation ou bien forme de parasitage, profitant des failles du système pour survivre. Dana Diminescu rappelle alors l’hypothèse de la « mobilité généralisée » : les sédentaires que nous sommes devenant de plus en plus mobiles, leurs comportements diffèrent de moins en moins de ces populations migrantes, qui expérimentent peut-être une nouvelle proposition de société : les identités s’y maintiennent par les co-présences connectées et non plus par les formes sociales héritées de la sédentarité.
Arnaud Belleil : la traçabilité    de l’individu mobile
   Comme postulat de départ, affirmé d’emblée comme    discutable mais utile à la réflexion, Arnaud Belleil considère    que les moments de mobilité constituent, dans une certaine mesure, des    moments d’anonymat : dans les villes moyennes au moins, la foule vous    rend de facto anonyme, un déplacement dans une autre ville aussi, etc.
   Les choses pourraient cependant changer : les puces sous-cutanées (utilisant    la technologie RFID par exemple) ont fait récemment leur apparition.    En général, les réactions face à cette proposition    sont de deux types : soit « je n’ai rien à cacher, cela ne    me pose aucun problème », soit un rejet total, en raison du spectre    de Big Brother et de la disparition de toute vie privée.
   Pourtant, ces puces sous-cutanées pourraient être acceptées    par la population, par un phénomène d’accoutumance progressive,    du fait d’usages sociaux apparaissant comme légitimes :
   – Toute première étape, les ours dans les parcs nationaux (c’est    déjà le cas) ;
   – Les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer,    qui se perdent en raison de leurs troubles de la mémoire et recouvreraient    ainsi une certaine liberté de déplacement aujourd’hui inimaginable ;
   – Les prisonniers, à qui on veut éviter les conditions carcérales ;
   – Les militaires sur le champ de bataille : secours aux blessés… ;
   – Les enfants, que les parents veulent pouvoir géolocaliser à    tout instant…
De proche en proche, l’accoutumance à cette technologie pourrait    se propager… Et pourquoi la voiture ne vérifie-t-elle pas automatiquement    le taux d’alcoolémie du conducteur, qui lui serait transmis par    la puce ? … 
   Par cette approche volontairement provocante, Arnaud Belleil montre que la question    ne se posera pas de manière binaire, en terme d’acception globale    ou de rejet, mais bien en fonction de degrés : le curseur de l’acceptable    sera simplement différent pour chacun d’entre nous. 
   Par ailleurs, ces pratiques ne trouveront probablement pas leur origine dans    un pouvoir dictatorial, mais bien dans des demandes sociales.
   En conséquence, les vraies questions sont peut-être :
   – de déterminer les règles autorisant la localisation : devra-t-on    demander l’autorisation de nous géolocaliser à chaque fois    que le service le requiert ou bien devrons-nous accepter (ou refuser et donc    renoncer au service) une fois pour toute la possibilité d’être    géolocalisé ? La Commission nationale informatique et libertés    (Cnil) a indiqué sa décision en faveur de la première option,    mais c’est loin d’être le cas en dehors de notre pays ;    
   – La possibilité laissée ou non de se débrancher, de se    rendre non-géolocalisable à volonté ;
   – La possibilité laissée ou non de mentir sur sa localisation    : en effet, le fait même que vous refusiez d’être géolocalisé    engendre le soupçon (salariés d’entreprise, situations d’adultère, …).
Trois remarques, suite à cette approche stimulante : 
   – Hubert Lafont note que la disparition des contraintes du territoire a entraîné    la disparition des contraintes sociales, mais aussi des régulations sociales    positives : le malade atteint par le syndrome d’Alzheimer était    pris en charge par la communauté villageoise. Mais ce constat n’est    en rien une lecture fataliste, car ces régulations sociales réapparaissent    sous des formes nouvelles : la localisation de ces malades sera peut-être    rendue possible, mais la possibilité de mentir donnée aux non-malades    vient rétablir un équilibre socialement acceptable.
   – Toute technologie de contrôle suscite une forte inventivité pour    la contrecarrer, au point de la rendre inefficace (Dana Dimescu, Yacine Aït    Kaci) ; loin de relever de pratiques clandestines, ce seront peut-être    des entreprises ayant pignon sur rue qui offriront, clé en main, des    services pour les contourner (Sébastien Bachollet).
   – L’acceptation de la géo-localisation pourrait trouver dans la    « co-présence connectée » un puissant moteur de la    massification de son usage. L’échange incessant de SMS au sein    de petits groupes de jeunes, comme l’a montré Christian Licoppe,    correspond moins à un échange d’information qu’au    signe exprimé à l’autre de sa proximité affective.    De la même manière, se rendre géo-localisable par ses proches    pourrait devenir une marque d’affection, un signe de l’élection    au statut d’intime. Loin d’être demandée, elle sera    peut-être offerte à l’autre… (Guénaël Amieux).
Quelques éléments de conclusion
   Les mobilités, tant réelles que virtuelles, rendent centrales    les questions d’identité : qu’il s’agisse de passer    les frontières ou de parcourir un système d’information,    des droits d’accès sont accordés (ou non). Mais dans les    deux cas désormais, cette barrière est informationnelle (registre    d’opposition, gestion des droits) plus que physique (frontières,    accès aux archives).
   Il y a quelques années, la migration était vécue comme    un déracinement ; parallèlement, les mondes virtuels étaient    souvent pensés comme engendrant la perte d’identité, des    repères, du « sens du réel ». L’utilisation    des TIC par les migrants, et par nous tous finalement, car nous sommes de plus    en plus mobiles, montre une réappropriation des technologies pour maintenir    les liens sociaux, les échanges et donc nos identités, voire même,    les élargir et les renforcer.
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C’est très intéressant de constater le double discours.
D’un côté, on nous dit que la technologie RFID va nous faciliter la vie et que son application dans le domaine de l’identification via la micro-puce sous-cutanée est inofensive, ne menace en rien nos droits fondamentaux et notre liberté.
De l’autre, comme le montre ce compte-rendu, on discute en coulisse des possibles applications pour le pistage en temps réel des individu.
Notre monde est dirrigé par des êtres humains, sensibles… et faibles. Si les choses étaient vraiment faites dans un esprit humaniste, fraternel, equanime, ça ferait longtemps qu’il n’y aurait plus de guerres, plus d’exploitation, et qu’une fédération mondiale se serait instaurée, assurant la paix et un niveau de vie correct pour chaque être humain sur cette planètre…
Comment des pays « dits » démocratiques osent parler de paix alors qu’ils abritent des industries d’armement qui ont le quasi monopole de la fabrication et de la vente d’armes ? Comment justifier que les banques détiennent la grande majorité des richesses alors qu’elles ne produisent strictement rien ?
Comment envisager qu’on puisse traiter les maladies à moindre coût tant que la mise au point et la commercialisation des médicament sera le fait d’entreprises privées qui n’ont aucun intérêt à ce que leur chiffre d’affaire soit revu à la baisse ?
Voilà où je sens le danger dans cette histoire de géolocalisation :
L’ordre établit est injuste, on ne peut pas défendre sérieusement l’inverse. Partant de là, il est normal que des gens (moi entre autre) tentent de changer les choses, se réunissent pour élaborer des plans d’actions, agissent ensemble pour réveiller leurs frères et soeurs abrutis par la propagande étatique et les soucis quotidiens (savamment entretenus).
Ce serait trop facile pour l’état (que je considère comme étant totalement soumis aux caprices des banques et des industriels) de tuer dans l’oeuf tout mouvement susceptible de provoquer un changement qui n’irait pas dans le sens de « toujours plus de profits pour les patrons », « pas de règle dans l’exploitations des ressources naturelles et humaines », etc.
Une dictature peut fort bien se déguiser en démocratie, et je pressens que c’est bien vers cela que l’on tend…
Ces articles sont d’une pertinence réelle, dans un monde en totale transformation du fait des nouvelles technologies de la communication. Reste à voir comment ces processus nouveaux se développent ou se produisent en Afrique, afin de « mondialiser » le savoir sur la problématique « e ».